Finstagrams : la vraie vie cachée des instagrameurs

6 décembre 2018 - Carré Frais #164

Finstagrams : la vraie vie cachée des instagrameurs

# Le jeu d’une vraie fausse identité

Être imparfait serait devenu le nouveau genre.
Vous savez, ces moments où l’on grignote des Granolas à une heure bien trop tardive, ceux où même le shampoing sec ne suffit plus à camoufler les dommages collatéraux de nos cheveux ou encore, cet instant sacré que l’on s’autorise le dimanche devant les animaux de la 8 ou Turbo. Oui, des moments de la vie courante. Et bien Instagram, le réseau de l’influence sous filtres a fait naître un mouvement libératoire pour tous les frustrés du cliché parfait : les finstagrams pour « Fake Instagram ». Paradoxalement, il s’agit de comptes parallèles aux comptes publics (dit « rinstagrams » pour « Real Instagram »), censés refléter la vraie personnalité des utilisateurs. Il s’agit donc de publier instantanément des contenus drôles, gênants et n’importe quelles photos et vidéos du quotidien sans préoccupations esthétiques (à la manière de Snapchat). Ces comptes, uniquement accessibles à un cercle d’amis restreints, sont une façon de gérer son image virtuelle.
Il y a donc de la raison chez les Millénials, que l’on dit inconscients et sans filtres…

 

# Les raisons d’une telle utilisation d’Instagram 

Les Finstas sont une façon de gérer les anxiétés et les frustrations dans un monde régi par l’image parfaite.
La dimension sociale 2.0, cassant les frontières culturelles et permettant de tous nous connecter, a fait naître une sorte de concurrence entre les communautés : course au plus beau look, à la plus belle assiette, au plus beau chat… Instagram a démultiplié les démonstrations de « vie la plus cool » créant chez beaucoup de Millénials des angoisses et la crainte de ne pas pouvoir assumer. Les finstagrams sont ces comptes privés sur lesquels les instagrameurs sont enfin eux-mêmes. Certains y verront une forme de schizophrénie alors que d’autres, un simple reflet de nos personnalités. Montrer le meilleur de nous-mêmes la semaine et se revêtir de notre jogging le dimanche, la tête enfarinée pour aller bruncher avec ses amis proches. Or, derrière nos écrans, se pose une question identitaire. À partir du moment où l’on se crée un compte social, on accepte d’être exposé aux dictats de la société, les plus concernés deviennent influenceurs, d’autres gardent une certaine distance et les plus fragiles quittent le navire. Alors qui sommes-nous vraiment ? À vouloir tout étriquer, tout contrôler, ne finissons-nous pas par nous perdre un peu ?

 

# Paroles de finstagrameurs

En avril 2017, le New York Post a interviewé Anisa Sojka. Cette blogueuse londonienne de 26 ans aux 48,9 k d’abonnés sur Instagram publie sur son compte officiel ses looks tendance dans des poses professionnelles, un art de vivre idéalisé par un grand nombre d’instagrameuses et des clichés toujours plus parfaits au travers d’un feed à la chromie impeccable. Pour assumer ce tirage à quatre épingles, elle se lâche sur son finstagram, sur lequel elle poste des « selfies peu avantageux, des mèmes qu’elle trouve drôles » etc. A contrario de son rinstagram, sur son compte privé, elle ne cherche pas les likes de sa communauté, elle aime simplement publier des contenus moins parfaits qui lui demandent beaucoup moins de travail.
Esther Choi, adolescente de 18 ans, explique pour Mic la façon dont elle différencie les contenus de son finsta à son rinstagram : pour un même moment, par exemple un concert, elle publiera sur son compte public une seule photo bien sélectionnée du show, alors que sur son compte privé elle postera des captures d’écrans des chansons avec une analyse profonde de ce que les morceaux représentent à ses yeux.
Les finstagrams représentent pour les instagrameurs un journal intime ouvert à un nombre restreint de followers. Et d’un point de vue sociétal, un besoin vers plus de naturel et de vrai sur des réseaux saturés par les diktats.

 

Exemples :

Lonely Lingerie : voici un exemple de marque de sous-vêtements, qui revendique le droit des femmes d’assumer leur corps, quel qu’il soit. Ici, aucune photo n’est retouchée, le compte Instagram de la marque montre des femmes, jeunes et moins jeunes, minces, rondes, poilues, tatouées, en fauteuils roulants, des mères… dans des positions des plus sensuelles aux plus pudiques. Un vrai regain de confiance aux jeunes femmes qui s’identifient aisément aux mannequins.

 

Wabi-sabi : tendance venue du Japon en train de faire le tour du monde, le Wabi-sabi est l’art et la manière d’être imparfait. Nous pourrions le traduire par « humilité » et « simplicité », tant il prône une acceptation totale du cycle naturel des choses. On recommande aux adeptes de « lâcher prise et se tourner vers la beauté de l’inattendu » (préface du livre « Wabi Sabi – Trouver le bonheur au-delà de l’imperfection »).
Ce courant marche à contre sens des exigences que s’imposent les personnes en recherche de perfection.

 

Celeste Barber : Cette comédienne australienne se moque sur son compte Instagram des clichés ultra glamour des célébrités et des influenceurs. En se basant sur une photo parfaite publiée sur Instagram, elle se scénarise dans le même contexte (tenue, pose, paysage), mais de façon décalée et drôle. Elle cherche à montrer le ridicule du cliché idéal et l’assume à 100 %.

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