Internet, les apps et leurs dérives sociales

7 mars 2019 - Carré Frais #170

Internet, les apps et leurs dérives sociales

# Tous espions

Internet est un univers à lui tout seul. Un espace incroyable qui favorise la liberté d’expression, nous donne accès à l’information, accélère les interactions multiculturelles, développe les esprits innovants… C’est un vecteur puissant de communication qui permet aux peuples opprimés de se révolter, aux femmes harcelées de s’exprimer, aux espèces d’être protégées, aux technologies utiles de prendre vie !
Internet c’est un canal qui nous permet de tout faire et de tout connaître. La géolocalisation, c’est une révolution. Mais qu’en est-il quand elle nous permet de retrouver qui nous avons croisé dans la journée (Happn), de suivre la trace de nos « amis » (Mes amis), et de savoir ce que font nos voisins (Nextdoor), de suivre les déplacements de son épouse saoudienne (Absher) ? Jusque-là, une simple curiosité et une envie de ne rien louper. Et si des applications existent pour cela, c’est que c’est toléré. Mais si on pouvait dénoncer ces mêmes personnes en train de commettre une incivilité. Serait-ce moral ? Et s’il nous était possible de leur attribuer une note pour leur mauvaise conduite… Nous sentirions-nous meilleurs ?
C’est chose faite. Bienvenue au royaume de la délation 2.0.

 

# Balance ton voisin

En France, dès les plus petites classes, on nous apprend à ne pas accuser publiquement nos camarades. Héritage lourd de la Seconde Guerre mondiale, alors que les Français envoyaient aux policiers des lettres pour dénoncer les familles juives de leur quartier… Depuis, la délation est considérée par la nation comme un acte moralement condamnable. Or, Internet semble remettre en cause l’ordre établi. Favorisés par le fait de se cacher derrière son écran, les internautes, et en particulier les mobinautes, sont incités à dénoncer les incivilités punies par la loi : port du voile, consommation d’une cigarette dans un lieu interdit, tapage nocturne, non-respect du Code de la route… En octobre 2012, une application étrange voit le jour, « Observer les lois ». Lancée par Jean Robin (rédacteur en chef du site Enquête et Débat) dans le but de « permettre une enquête et un débat de grande ampleur sur l’application de la loi dans notre pays sur plusieurs lois votées par la représentation nationale ». L’application a rapidement été supprimée de l’Apple Store et du Google Play Store en laissant place à « DansMaRue ». Cette fois pensée par la mairie de Paris, dont Anne Hidalgo est l’ambassadrice. Elle a pour objectif de dénoncer toutes les infractions commises sur la voie publique. Des procédés gênants qui ne semblent pas choquer nos représentants et que des citoyens « gendarmes » utilisent avec enthousiasme : selon Le Parisien, 400 000 signalements auraient été enregistrés via DansMaRue entre 2012 et 2018. Une campagne de communication on et offline a permis de booster le nombre de téléchargements de l’application et les tweets ne cessent de déferler.

 

# L’ère du classement social

Vous avez peut-être vu ou entendu parler de cet épisode de Black Mirror – « NoseDive » – dans lequel les citoyens s’attribuent une note, allant de 1 à 5, après chacune de leurs interactions. Les smartphones identifient les individus croisés permettant d’afficher leur note sociale. Chacun peut ainsi juger si la personne est fréquentable ou non. Une vision d’un monde futuriste qui angoisse et pourtant pas si éloigné de la réalité.
Mardi dernier, l’ADN révélait que « 23 millions de Chinois considérés comme de mauvais citoyens » ne pouvaient prendre ni train ni avion. Cette désignation s’appuie sur le Social Credit System, un système de notation sociale lancé par le gouvernement et expérimenté dans certaines villes chinoises. Il devrait officiellement se généraliser à l’ensemble du pays entre 2020 et 2021. L’idée étant d’associer à chaque citoyen une note, calculée à partir des données dont dispose le gouvernement : casier judiciaire, carte bancaire, images de vidéosurveillance associées à de la reconnaissance faciale, reconnaissance de la démarche, données laissées à des sociétés de vélopartage, à Alibaba… Couplé aux applications de délation 2.0, la Chine donne un bel exemple de dérive totalitaire connectée.

 

Exemples :

Dystopie : découvrez la scène de l’aéroport de l’épisode « NoseDive ». Un extrait satirique qui nous fait fortement penser au Social Credit System chinois.

 

Réalité : Uber donne désormais la possibilité aux chauffeurs de noter leurs clients. Un système de notation bilatéral, qui on l’espère, devrait encore nous permettre de nous faire conduire en Mercedes…

 

Dépression : l’agence japonaise Party a lancé une plateforme qui scanne nos visages pour leur attribuer une note esthétique de 1 à 5… À quand le scan du gros orteille ?

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