La proposition de loi contre les contenus haineux sur Internet

11 juillet 2019 - Carré Frais #178

La proposition de loi contre les contenus haineux sur Internet

# Projet de loi contre la cyberhaine : de quoi parle-t-on vraiment ?

Jeudi 4 juillet, un projet de loi contre la haine sur Internet a été débattu à l’Assemblée nationale. Il sera présenté au Sénat aujourd’hui.
Il  s’agit d’une proposition  de loi  de la députée LREM Leativia Avia, considérant  que  « ce qui n’est pas toléré dans la rue ne doit pas davantage l’être sur Internet ». Il s’agit alors de bannir du web, tout ce qui toucherait à la dignité humaine.
Le projet vise l’activité française des réseaux sociaux et les moteurs de recherche. Il souhaite supprimer ou archiver tous contenus faisant état d’incitations à la haine, de violence, d’injures à caractère raciste et religieux, de proxénétisme et de pédopornographie, d’apologie des crimes contre l’humanité, d’incitation au terrorisme et de harcèlement.
Afin de cadrer ce qui pourra ou ne pourra pas être supprimé, l’Assemblée nationale a voté en faveur de la création d’un « observatoire de la haine en ligne ». Il sera chargé d’assurer le suivi et l’analyse de l’évolution des contenus. L’observatoire devra conjointement travailler avec le CSA, qui avait déjà mis en place certaines mesures de lutte contre les contenus haineux. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel devra désormais encourager les réseaux sociaux et les moteurs de recherche à coopérer dans cette lutte et à rendre des comptes publics sur les mises en demeure et les sanctions appliquées.

Source image à la Une :  https://www.meta-media.fr/2019/03/21/combattre-la-haine-sur-internet-trois-defis-a-relever.html

 

# Les principaux points de la loi

Mardi dernier, suite à l’adoption de la loi par l’Assemblée nationale, le magazine Stratégies est revenu sur les 5 points principaux qui la composent :
1. Retrait sous 24 h de contenus haineux après signalement
Le premier article de la loi a été voté la semaine dernière. Il stipule que les plateformes Internet auront l’obligation de retirer ou de déréférencer les contenus manifestement illicites sous 24 heures. S’ils ne sont pas automatiquement supprimés, certains contenus pourront être conservés, mais archivés pendant un an, en vue d’une enquête judiciaire.
2. Peines
Si les plateformes refusent de retirer les contenus litigieux, elles seront passibles d’une peine d’un an de prison et d’une amende pouvant aller de 250 000 € à 1,25 million d’euros.
3. Bouton unique de signalement
Dans le but de faciliter les signalements des utilisateurs, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux devront mettre en place un dispositif de notification directement accessible depuis le contenu considéré comme haineux. Il prendra la forme d’un call-to-action facilement identifiable et uniforme d’une plateforme à l’autre.
4. Coopération des plateformes avec la justice
Un devoir de coopération sera mis en place entre l’État et les plateformes. Le CSA sera en charge de veiller au respect de cette collaboration. Dans le cas inverse, il sera en mesure de sanctionner les acteurs qui, à plusieurs reprises, n’auraient pas coopéré. Cette sanction pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise.
5. Éducation
Les programmes scolaires devront comporter un chapitre dédié à la lutte contre les contenus haineux sur Internet. Et la formation des enseignants vis-à-vis de la loi sera renforcée. Lors de leur première connexion/utilisation, les plateformes devront sensibiliser les publics mineurs et leurs parents à une « utilisation civique et responsable » de la plateforme.
Sur le papier, on pourrait croire à une loi en faveur de tous, qui apprendra aux uns et aux autres à mieux partager l’espace de vie digital. C’est l’idée, mais bien qu’encadré certains opposants au projet tirent un cri d’alarme. Et ils n’ont pas que tort…

 

# Une crainte pour nos libertés d’expression

Ils sont politiques, associations ou entreprises du numérique et craignent des mesures trop larges qui menacent nos libertés d’expression. Les contenus haineux n’étant, selon eux, pas suffisamment précisés.
• Censure politique
L’article 1, qui prévoit le retrait des contenus haineux sous 24 h, fait polémique. Ce délai ne laisse pas le temps à un homme normalement constitué d’être confronté au contenu, de l’analyser, de le faire valider et/ou de le supprimer. Il va donc s’agir d’une modération automatisée, reposant sur « l’analyse » de certains mots clés. De ce fait, comment ne pas censurer à tort un contenu qui aurait le droit d’exister ?
• Restriction des libertés publiques
Certains y voient une restriction des libertés de dire, de débattre et d’interagir. On peut en effet voir dans cette loi un effet réellement néfaste sur les libertés d’expression, sujet qui interroge la France depuis des années. Ne va-t-on pas à l’envers du principe de culture ? Internet étant un média d’information, de partage des idées et d’enrichissement. C’est un risque réel, notamment si les contenus « acceptables » se rapportent aux partages de LOL Cats, de bébés qui rigolent et de smileys licornes… Nous sommes déjà en proie à la standardisation des contenus, et pourtant on a encore le droit de jurer et de parler de sexe.
• Privatisation de la fonction judiciaire
Quelle sera la place du juge dans cette loi : est-ce désormais à Facebook et Google de juger de la légitimité d’un contenu ? Nos libertés individuelles seraient alors régies par des entreprises privées, dont l’objectif est de s’enrichir. On assisterait alors à une déresponsabilisation totale de l’État face aux litiges d’atteinte à la dignité. Les plateformes numériques vont devoir jouer ce rôle de police. Elles seront en charge d’accepter ou non la publication d’un contenu. Une situation délicate qui pourrait déborder, car ne pas supprimer le contenu sera passible d’une amende, mais le supprimer pourrait être perçu comme un abus de position dominante.
Pourtant, ne s’agit-il pas d’abord de responsabiliser les géants du numérique face aux contenus qu’ils accueillent, diffusent et viralisent ? Et dans un second temps, de leur accorder un droit de véto sans pour autant laisser une justice privée s’installer en France.

 

Exemples :

Instagram : le réseau social a déjà annoncé le lancement de deux nouvelles fonctionnalités pour lutter contre le harcèlement. Un premier outil permettrait de « scanner » un commentaire pour déterminer s’il est insultant ou agressif. Le second permettrait de restreindre un utilisateur à sa seule visibilité de ses propres commentaires. Une sorte de mise en quarantaine 2.0.

Source exemple 1 « Instagram » :  https://www.journaldugeek.com/2016/12/08/instagram-fermer-commentaires/

Facebook : en mars dernier, Facebook s’est retrouvé dans une situation délicate suite à une publication d’Alex Jones (le complotiste d’extrême droite le plus influent des États-Unis) sur Instagram. Elle comportait un visuel – une œuvre de Mear One – mais était dépourvue de texte d’accompagnement. Facebook a alors décortiqué les quelque 560 commentaires pour faire état des messages qui enfreignaient ses règles. Sans résultats légitimes. La publication a été supprimée après la décision de dirigeants du Royaume-Uni. Depuis, même le compte d’Alex Jones a été supprimé.

Google+ : en janvier dernier, une demande de suppression de contenu du réseau Google+ a été lancée par la police à Google. Le contenu dont il était question était une caricature d’Emmanuel Macron et du dictateur Pinochet. Il semblerait que l’on ne puisse vraiment plus rire de tout.

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